"Hors le Trio à cordes Français de Gérard Jarry et le Trio Pasquier, rares sont les trios à cordes constitués qui réussirent à se faire un nom. Certes, le répertoire alloué à cette formation est moins riche que celui pour violon, violoncelle et piano, mais s′il apparaît diffus c′est justement sa rareté qui en fait l′interérêt principal. La curisité de l′excellent Gaede Trio nous a déjà d′ailleurs permis d′associer quelques pièces du grand répertoire (Mozart, Beethoven, Schubert) à des pages moins connues et enregistrées comme le Trio d′Albert Roussel ou ceux de Dohnányi et Schnittke. C′est pour ce même principe du récital que les Gaede nous donnent aujourd′hui un merveilleux disque. De la Sérénade op. 8 de Beethoven, nous avions surtout les excellents Archibudelli (Sony) et deux "historiques" de haut vol: Goldberg/Hindemith/Feuermann (EMI "Références" supprimé ou Pearl) et Heifetz/Primrose/Piatigorsky (RCA "Heifetz Collection" supprimé). La version très classique que nous offre le jeune trio allemand rappelle un peu celle de l′ensemble d′Arthur Grumiaux (Philips "Arthur Grumiaux Edition" vol.8...supprimé), à l′élégance suprême, au fini instrumental rare, tempérée dans ses tempos, superbe dans ses phrases. Tirant ainsi l′œuvre vers le XVIIIe siècle viennois auquel elle appartient indéniablement, les Gaede nous en donnent une magnifique interprétation que certains jugeront peut-être un peu trop policée, mais qui impressionne pour son équilibre et sa beauté simple et sobre. Sans beaucoup de concurrence en revanche, les deux pages d′Eisler (cf. Kammerensemble de Zurich chez Accord) et la première mondiale (à ma connaissance) du sublime Trio "Chimay" d′Ysaÿe méritaient hautement d′être graves par un ensemble aussi remarquable. Eisler écrivit son Scherzo en 1920, encore sous la grande influence de l′enseignement de Schoenberg. Plus libre, plus souple, le Prélude et Fugue sur le nom de Bach fut composé à Paris en 1934 dans un but "pédagogique" (selon le mot même d′Eisler), afin de démontrer que dodécaphonisme pouvait ne pas toujours rimer avec froide austérité. Pari gagné!, d′autant que le Trio Gaede en accentue volontiers les beautés sonores (l′énoncé de la fugue, au mystère troublant...) L′auditeur de ce disque remarquable en tout sera très étonné de découvrir la modernité du tardif (1927) trio d′Ysaÿe, très "école de Vienne", très "Nuit transfigurée", et veritablement un chef-d′œvre dont l′absence au catalogue étonne en regard de cette singulière rèussite qui reconcilie la grande école franco-belge et le jeune Schoenberg. Les Gaede en donnent une interprétation concentrée et vibrante dont on sort bouleversé. Chaudement recommandé."
Philippe Simon
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Philippe Simon
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