Interprétation: *****
son: (S/MC) *****/*****
Voici, sans aucun doute, un excellent ajout à la discographie Beethoven… Wojtjek Rajski nous donne de ces deux symphonies l′une des lectures les plus vibrantes que j′aie entendues depuis longtemps. Il n′est pas mentionné si les éditions Barenreiter/Del Mar ont été utilisées, mais ça n′a guère d′importance lorsqu′on fait de la musique avec autant de vitalité ! Le style de jeu est idéalement proche d′un orchestre de chambre - ce que j′apprécie beaucoup, même si certains regretteront de ne pas avoir un son de plus de poids.
Comme c′est là le début d′une intégrale des symphonies de Beethoven (ah, si elle pouvait aussi inclure les ouvertures et les concertos !), les alternatives les plus évidentes sur support SACD sont le London Symphony Orchestra/Haitink (LSO Live) et l′Orchestre de Minnesota/Vanska (BIS). Cet enregistrement est effectué (tout au moins sur la couche multicanal, nous y reviendrons) d′une façon très différente de celle habituelle, mais l′interprétation a aussi choisi la différence. L′Orchestre Philharmonique de Chambre de Pologne de Sopot est un véritable orchestre de chambre, donc d′effectif bien plus réduit que celui des deux autres intégrales. À l′occasion, les basses sont peut-être un peu légères, mais dans l′ensemble, cette sonorité est très rafraîchissante, et révèle bien des subtilités - l′accord et le contrôle du son étant parfaits.
Commençons par la septième symphonie. Après une ouverture imposante, comme il se doit (mais rien de trop grandiose !), le premier mouvement s′ouvre sur une danse menée de façon très entraînante. La "cadence" de hautbois se déploie avec un goût très sûr ; le seul manque éventuel serait un peu de poids dans les graves, sans doute le plus notable dans le crescendo qui mène à la coda. Le célèbre Allegretto n′est absolument pas traité comme un mouvement lent - on pourrait le décrire comme une personne qui, après les efforts consentis lors du premier mouvement, récupère posément. Les phrases s′enchaînent avec grâce les unes aux autres, tant globalement que dans le détail. Les troisième et quatrième mouvements prouvent sans conteste que les musiciens de l′Orchestre de Chambre de Pologne savent ce que jouer veut dire ; on a rarement vu athlétisme musical utilisé avec autant de goût. Les tempi sont parfaitement choisis, et même la section "Assai meno presto" [trio] du Presto [scherzo] se met à danser d′une façon très gracieuse et mélodieuse, avec une extraordinaire exubérance. Dans le Finale, certains trouveront peut-être que les cordes manquent un peu de corps, mais j′ai trouvé pour ma part ce mouvement très entraînant. L′accumulation de la tension à mesure qu′on s′approche de la coda est merveilleuse, et le contre-chant des vents qu′on entend naturellement et parfaitement, est excellent.
La Huitième Symphonie est tout aussi réussie, et Rajski arrive à insuffler des éléments de danse dans le premier mouvement, tout en conservant la majesté de ce qu′on décrit trop souvent, à tort, comme une "petite" symphonie. Dans cette version, les termes "Allegro vivace e con brio" sont parfaitement justifiés et respectés. Le deuxième mouvement, régulier comme une horloge, est d′une superbe précision, pris à un tempo suffisamment frais pour que les aspects comiques de l′"Allegretto scherzando" n′échappent pas à l′auditeur. Le "Tempo di Menuetto" invite à la danse, sans trop de déploiement d′énergie. Le Finale est d′une grande légèreté, mais par moments, l′attaque des cordes est féroce, même si leur nombre réduit leur confère un poids tout juste suffisant dans les passages fortissimo. L′enregistrement multicanal du SACD constituera sans aucun doute le point le plus sujet à controverse pour ce disque. Même si l′approche adoptée par TACET est loin d′être "naturelle", elle est certainement intéressante, et prête à la réflexion. Je n′ai jamais entendu autant de détails mis en valeur dans ces œuvres ; la preuve que cette approche de prise de son, sollicitant, par sa spatialisation marquée, l′oreille d′une section de l′orchestre à une autre, débouche sur une écoute bien plus active que d′habitude. Chaque symphonie possède sa propre assignation des pupitres en multicanal - basée sur deux cercles concentriques au cœur duquel l′auditeur se retrouve placé.
Symphonie N°7:
Cercle extérieur : Cor 1 (avant gauche), Timbales (Centre), Cor 2 (avant droit), Trompette 1 (arrière gauche), Trompette 2 (arrière droit)
Cercle intérieur : Bassons, Clarinettes, Hautbois, Flûtes (à l′avant, de gauche à droite) et premiers violons, violoncelles, altos, contrebasses, seconds violons (à l′arrière, de gauche à droite)
Symphonie N°8:
Cercle extérieur : Cor 1 (avant gauche), Timbales (Centre), Cor 2 (avant droit), Trompette 1 (arrière gauche), Trompette 2 (arrière droit)
Cercle intérieur : Bassons, Clarinettes, Hautbois, Flûtes (à l′avant, de gauche à droite) et premiers violons, seconds violons, altos, violoncelles, contrebasses (à l′arrière, de gauche à droite)
Il faut bien sûr configurer avec soin le système d′écoute multicanal - sinon, l′enregistrement peut vite sonner de façon assez caverneuse. Ce phénomène curieux n′est pas présent sur la couche stéréo. Mis à part ces considérations d′espace, TACET a assuré un enregistrement d′une très belle qualité sonore. Je donne 5 pour le mixage stérééo, 5 pour le mixage multicanal, mais attention, certains seraient tentés de donner 0 à ce dernier, à cause de son originalité. Si vous avez l′esprit ouvert (ou si vous êtes courageux, diront certains), essayez d′écouter ce SACD, le résultat est vraiment étonnant.
Globalement, nous avons affaire à un enregistrement très plaisant d′œuvres importantes, que je ne peux que recommander chaudement à tous ceux que l′approche " musique de chambre " tente plus, dans ce répertoire, que l′approche " orchestre symphonique. Le mixage multicanal posera sans doute problème à certains, mais j′encourage fermement tous les curieux à écouter une fois les symphonies de cette manière, qui propulse l′auditeur dans l′orchestre, et favorise une écoute complètement active. La couche stéréo du SACD est parfaitement recommandable à tous ceux qui considèrent la couche multicanal comme un anathème.
John Broggio<< back