Evgeni Koroliov (né en 1949) fait des Trois Dernières Sonates des diamants savamment polis. Alors que son précédent album beethovénien (consacré aux Opus 101 et 106) était plus impeccablement construit qu’émotionnellement réussi, le pianiste russe fend ici l’armure – et touche au cœur. D’une rare cohérence, l’Opus 109 coule comme de l’eau de source, à la fois personnel et incontestable (malgré l’originalité du propos). Il déploie des résonnances inouïes. D’une sidérante beauté par l’immobilité crépusculaire et le calme méthodique de certains passages, il s’achève dans une neutralité du ton qui déroute profondément. L’Opus 110 suit un parcours comparable. La personnalité du discours (assez déconcertant parfois, notamment dans les choix de tempos) s’impose d’elle-même. Et l’Adagio ma non troppo achève de convaincre qu’un immense artiste est à la manœuvre. L’Opus 111 est d’un abord plus aride, tant la rythmique singulière – heurtée, douloureuse même – perturbe dans le premier mouvement. Pourtant, on finit par rendre les armes face à la logique de l’ensemble, Koroliov faisant de cette Dernière Sonate un manifeste cubiste qui apporte quelque chose de neuf à l’édifice discographique de l’œuvre. Un voyage déroutant mais une expérience forte.
Gilles d'Heyres<< back