Contre le « Speed watching/listening »

Tout au long de plusieurs années et décennies, Domenico Scarlatti composa pratiquement chaque semaine une nouvelle sonate pour son élève royal au piano. Et peu à peu, il a ainsi constitué ce qu’on peut appeler l’œuvre de sa vie. Mais qu’est-ce que le concept « d’œuvre d’une vie » représente pour nous aujourd’hui ? Un nombre de sonates incroyable : 555 au total. Si on en écoute trop d’un coup, leur incroyable diversité et leur originalité s’évanouissent. Le mieux est d’en écouter une par jour, comme Scarlatti le préconisait à l’origine. Et d’un seul coup, votre vie change ! Pouvons-nous vraiment leur rendre justice aujourd’hui ? Dans cette optique, ma décision, et celle de Christoph Ullrich, d’étaler la production de cette intégrale sur 17 ans semble appropriée. À côté, Christoph Ullrich travaille simultanément sur d’autres projets d’une vie, par exemple son grand projet pour enfants “laterna musica” (ex-Earworm-Project). Ainsi, avec notre perception temporelle altérée, nous nous battons pour revivre le passé tout en restant moderne et curieux afin de répondre aux exigences d’aujourd’hui.
Et le jeu en vaut la chandelle ! Quelle aventure ! Qui sait ce qu’il en résultera au bout de 17 ans ? Comment réagiront les doigts, les oreilles ? À la fin de tout cela, restera-t-il de la musique ? Avec toute cette espièglerie, cette folie, cette gaminerie, dans cette cacophonie mêlant croisements de mains et sensualité, ce cycle peut aussi offrir quelque chose de très spécial par rapport à d’autres : se rendre compte qu’en faire toujours plus, toujours plus vite, n’est pas un but en soi. Soyons lucide : notre existence n’est pas infinie.

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