Une integrale exhaustive des Intermezzi de Brahms, voilà ce que propose Evgeni Koroliov. Elle va de la Ballade n° 3, composée en 1854 (et sous-titrée en effet «intermezzo») jusqu'aux dernières pièces de l'été 1893 (mais grâce à son ut majeur gracioso e giocoso, I'Opus 119 n°3, qui clôt le parcours, n'est pas le plus automnal de tous). Chaque page est traitée dans une même approche esthétique : un jeu précis, clair, parfois très sobre, qui fait tendre ces pièces vers les brefs monologues pour piano qu'affectionneront certains compositeurs du XXe siècle, plutôt que vers le lyrisme plus expansif des romantiques allemands. L'ensemble devient très homogène, et gomme les quatre décennies qui séparent les deux intermezzos extrêmes. Le dosage de la pedale, l'équilibre des plans sonores, la sérénité des tempos, l'attention portée aux silences, la subtilité des nuances contribuent au succès d'une interprétation intériorisée, intense et raffinée. La séduction passe également par la sonorité soyeuse et douce de l'instrument, qui évite toute sécheresse. On appréciera en particulier la comptine dépouillée qu'offre l'Opus 117 n° 1, le patinage mystérieux de l'Opus 116 n° 5, la confidence poignante de l'Opus 119 n° 2. Koroliov donne à l'auditeur l'impression d'approcher l'éssence même de ces oeuvres, après avoir franchi les couches successives de leur charme immédiat. Et le tout sans la moindre sensation d'austérité.
Jérôme Bastianelli<< back